Armes chimiques en Syrie: rapport des services de renseignements français

Armes chimiques en Syrie: rapport des services de renseignements français

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Ce 26 avril, la presse française a annoncé le contenu d´un rapport des services de renseignement français confirmant l´usage d´armes chimiques en Syrie le 4 avril dernier (voitr le texte complet du rapport inclu dans cette note du Huffingthon Post). On lit (voir article de Le Monde) que “Les preuves recueillies par les services français complètent celles des Américains et des Britanniques. Elles sont accablantes pour Bachar Al-Assad, même si elles ne démontrent pas un ordre direct du dictateur syrien, seul véritable patron d’un arsenal chimique qui n’a donc pas été totalement détruit malgré ses engagements“. La reáction prévisible de la Syrie s´est entendue 24 heures plus tard (voir note de l´Express).

La certitude des Etats Unis

On se doit de rappeler qu´en représailles à l’explosion de substances chimiques survenue à Khan Cheikhoun du 4 avril dernier, ayant causé la mort de 87 personnes, les Etats-Unis ont ordonné deux jours plus tard le bombardement de la base d’Al-Chayrat, d’où étaient partis, selon le Département d´Etat, le ou les avions de l´armée syrienne responsables. Cette opération militaire des Etats-Unis constitue une violation flagrante de la Charte des Nations Unies. Pour une analyse strictement juridique, nous renvoyons à celle du Professeur Marko Milanovic (Université of Nottingham) intitulée: “The Clearly Illegal US Missile Strike in Syria” publiée sur by EJIL Talk. On lit dans une analyse plus récente publiée en Belgique que le droit international:

… ne reconnaît pas de « droit » unilatéral d’intervention humanitaire. De même, la « responsabilité de protéger », consacrée par les membres des Nations unies en 2005, n’autorise pas un État à bombarder le territoire d’un autre État sans l’autorisation du Conseil de sécurité, même si ces bombardements sont conduits à des fins de protection de populations civiles menacées par leur propre gouvernement. Les frappes du 6 avril n’ont donc, en l’état, aucun fondement en droit international. Elles doivent donc être considérées comme illégales” (voir article de Nabil Hajjami, Maître de conférences à l’Université Paris Nanterre (CEDIN), intitulé “Les frappes militaires américaines en Syrie du 6 avril 2017 – Quelles incidences en droit international ? “, disponible ici).

L´absence de condamnation catégorique de la part des alliés des Etats-Unis concernant cette décision unilatérale du Président Donald Trump est une donnée à prendre en compte. Lors de son intervention devant le Conseil de Sécurité, le représentant de la France a même affirmé haut et fort que:

“Cette opération américaine a constitué une réponse légitime face à un crime de masse qui ne pouvait rester impuni. Bashar Al-Assad, nous l’avons dit et répété, porte l’entière responsabilité de ce développement” (voir texte complet du PV de la session du 12 avril 2017, p. 4).

Comme on le sait “punir” et éviter que des crimes puissent “rester impunis” sont des termes propres du droit pénal international, qui prévoit un certain nombre de mécanismes à ce sujet. Le droit international public exclut l´usage unilatéral et “punitif” de la force armée par un Etat contre un autre Etat, et ce depuis 1945.

La discussion au sein du Conseil de Sécurité: de la certitude de certains à l´incertitude collective

Malgré cette affirmation catégorique, on notera que lors de la même réunion du Conseil de Sécurité du 12 avril, la France (avec les Etats-Unis et le Royaume Uni) avait présenté un projet de résolution condamnant l´usage “qui aurait été fait” d´armes chimiques en Syrie (voir texte du projet de résolution qui n´a obtenu que dix votes pour, deux contre (dont celui de la Russie) et trois abstentions (donte celle de la Chine). La nuance mérite d´être signalée. On peut s´interroger sur le nombre de votes réunis en faveur du texte si il avait été aussi catégorique dans son premier paragraphe que ses trois auteurs lors de leurs interventions respectives. Pour ce qui est du malaise de certains représentants, comme celui de l´Uruguay (ayant voté pour, sans grande conviction), nous renvoyons à notre note en espagnol publiée dans Ius 360 relative à la position des deux Etats d´Amérique Latine membres du Conseil de Sécurité: les annexes du texte renvoient au projet de résolution russe et aux projets dénommés “E-10” et “P-3” (version anglaise) ayant circulé au sein du Conseil de Sécurité le 5 avil 2017, lors d´une séance urgente sur la Syrie.

Concernant le texte finalement présenté et soumis au vote lors de la séance du 12 avril, on est d´ailleurs en droit de se demander si il est habituel de voir le Conseil de Sécurité des Nations Unies condamner “avec la plus grande fermeté l’emploi qui aurait été fait d’armes chimiques” (Paragraphe 1); et, plus généralement, condamner des actions “qui auraient été” menées. Sur ce point, une recherche rapide sur la toile de cette expression par le Conseil de Sécurité renvoit au seul projet de résolution présenté le 12 avril précité, mais le doute est permis. Nous remercions d´avance nos lecteurs de référer à une quelconque résolution précédente du Conseil de Sécurité condamnant “avec la plus grande fermeté” des choses qui auraient été faites.

La certitude étasunienne passée au crible

Un rapport des services de renseignements des Etats-Unis afin de justifier cette action militaire contre la Syrie (voir texte complet) a été analysé par un spécialiste, Theodore Postol, Professeur au MIT (Massachusets). On peut lire dans son analyse (voir texte publié par GlobalResearch que :

We again have a situation where the White House has issued an obviously false, misleading and amateurish intelligence report“.

Dans un Addendum du 13 avril (voir texte), le scientifique conclut son analyse ainsi: “I therefore conclude that there needs to be a comprehensive investigation of these events that have either misled people in the White House, or worse yet, been perpetrated by people seeking to force decisions that were not justified by the cited intelligence. This is a serious matter and should not be allowed to continue“.

A noter qu´en 2013, un rapport “dérangeant” du MIT avait également mis en doute les certitudes des Etats-Unis et de la France, et Laurent Fabius avait évité de répondre à une question tout aussi “dérangeante” d´un étudiant bien informé (voir article dans Le Point).

L´OIAC pressée de conclure avant toute enquête in situ

Les enquêteurs de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) avaient conclu, le 19 avril dernier 2017, et ce sans procéder à l´envoi d´une mission sur place (réclamé depuis le 5 avril par la Russie dans son projet de résolution), à l’emploi « irréfutable » de gaz sarin ou d’une substance similaire. Sur cette épisode récent de l´OIAC, inhabituel dans la mesure ou l´OIAC prend plusieurs mois afin de mener une enquête en Syrie, nous renvoyons a notre note intitulée “Without any in situ inspection, OPCW confirms sarin exposure during the explosion that took place in Syria on 4th April” publiée sur le site de Pressenza.

Or, dans un rapport daté du 24 avril 2017 – et qui n´a fait l´objet d´aucun communiqué de presse – on lit de, la part de l´OIAC, qu´une Fact Finding Mission (FFM) a été mise en place:

The FFM is currently continuing the process of interviews, evidence management, and sample acquisition. A first interim report is expected to be completed in the coming weeks, at which time it will be submitted for the consideration of the States Parties and shared with the JIM” (voir rapport, point 18).

Il faut savoir que les enquêtes menées en Syrie par l´OIAC prennent normalement un certain temps: par exemple le dernier rapport qui a été remis au Conseil de Sécurité concernant l´usage prétendu d´armes chimiques en Syrie date de janvier 2017: voir lettre de décembre 2016 et le rapport de la mission d’établissement des faits menée par l’OIAC en Syrie sur un incident du 2 août 2016, disponibles ici. On y lit (point 18 des conclusions du rapport) que:

Conclusions 18. Aucun des produits chimiques identifiés n’est susceptible d’être la cause du décès des victimes dans l’incident. La méthyldiéthanolamine est un précurseur de l’ypérite à l’azote, mais elle est également présente dans certains détergents commerciaux. Les signes d’exposition à l’ypérite à l’azote n’étaient pas visibles chez les victimes“.

Une enquête de l´OIAC a été ordonnée concernant l´usage du gaz moutarde durant la bataille d´Alep au mois de novembre dernier, dont les résultats sont toujours attendus.

Nombreuses sont les possibilités d´usage de substances chimiques de la part des divers acteurs qui participent direct ou indirectement au conflit en Syrie depuis 2011. Il est bon de rappeler que l´OIAC a été créée en vertu de la “Convention sur l’interdiction de la mise au point, de la fabrication, du stockage et de l’emploi des armes chimiques et sur leur destruction“, signée à Paris en 1993, et qui est entrée en vigueur en 1997. Cette convention multilatérale a été ratifiée par 192 Etats (dont la Syrie, qui l´a ratifiée en 2013). En 2014, les équipes de l´OIAC ont conclu leur travail en Syrie, les stocks d´armes chimiques possédés par l´armée syrienne ayant été officiellement détruits. A noter que le seul Etat Membre des Nations-Unies à ne pas être partie à cette convention est Israël (voir liste officielle sur l´état des signatures et ratifications).

En guise de conclusion

Le rapport des services de renseignements de la France attribue directement aux autorités syriennes l´usage de substances chimiques contre les groupes rebelles à Idlib le 4 avril dernier, et écarte toute autre hypothèse. Admettre un instant que les autorités syriennes ne soient pas directement responsables de cette explosion aurait évidemment jeté un froid, au vu de l´insistance avec laquelle la France affirme depuis le 4 avril l´implication directe des autorités syriennes. Comme on le sait bien, les rapports des services de renseignements ne sont pas des documents publics. Lorsqu´ils sont rendus publics, c´est fort souvent pour justifier la position d´un Etat. Vu le rapport produit par les services de renseignement des Etats-Unis, ont est en droit de penser que celui produit par la France cherche aussi à aider le Président Donald Trump.

 

* par Nicolas Boeglin, Professeur de Droit International Public, Faculté de Droit, Université du Costa Rica (UCR)



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